L’insécurité alimentaire chez les aînés est un phénomène croissant.

Près de 4% des personnes de 65 ans et plus en Outaouais vivent des problèmes d’insécurité alimentaire, un total de 1400 individus. La Table de Concertation sur la Faim et le Développement social de l’Outaouais (TCFDSO) est claire sur le sujet: la tendance ira en augmentant.

La génération des «baby-boomers» approche de la retraite et leur arrivée causera une commotion sur le système de santé et de services sociaux, explique Jean-Guy Lacoursière de la Table de concertation des aînés retraités de l’Outaouais (TCARO). «Il faut penser à des alternatives.»

L’insécurité alimentaire est un état dans lequel se trouvent les personnes qui n’ont pas accès à la nourriture, craignent de ne pas en avoir suffisamment ou sont incapables de faire un choix parmi une variété d’aliments. C’est du moins la définition du Dr Jean-Pierre Courteau de l’Agence de la santé et des services sociaux de l’Outaouais (ASSSO).

Plusieurs facteurs expliquent qu’une personne se retrouve dans une telle situation, la mobilité réduite par exemple. Malgré tout, le Dr Courteau indique que la pauvreté demeure le principal obstacle à une saine alimentation chez nos aînés.

Il estime qu’il s’agit du levier qui a le plus de potentiel pour régler ce problème. En ce sens, la réforme de l’aide sociale proposée par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Agnès Maltais, aura des effets négatifs sur l’insécurité alimentaire, affirme Jean-Pierre Courteau.

«Les directeurs de santé publique se sont rassemblés et ont argumenté contre la réforme en commission parlementaire. Sur le terrain, on nous dit qu’il manque de l’argent pour répondre aux besoins. Si l’aide sociale est menacée, le nombre de clients va augmenter. Les problèmes de financement chroniques qu’ils ont se trouvent amplifiés.»

Un problème de santé publiqueSelon le médecin de l’ASSSO, il n’est pas anodin que les directeurs de santé publique de toutes les régions du Québec se soient rassemblés pour critiquer les changements au programme d’aide sociale.

Les organismes de santé publique doivent gérer les menaces directes à la santé de la population, mais également réduire les facteurs nuisibles à long terme. La pauvreté en est un, affirme le Dr Courteau.

M. Lacoursière soutient que la TCARO observe trois enjeux principaux pour les personnes aînées de l’Outaouais dont fait partie l’insécurité alimentaire en compagnie de l’absence de logement abordable et la difficulté d’accès au transport collectif.

«En même temps, ces problèmes sont tous reliés. Si ton loyer coûte trop cher, il ne te reste plus d’argent pour ta nourriture et si tu ne peux pas te déplacer, tu ne peux pas aller la chercher.»

Mobilité réduite, accès réduitLes difficultés de déplacement empêchent certains aînés de se procurer de la nourriture saine, il s’agit d’un des facteurs principaux derrière l’insécurité alimentaire.

Jean-Pierre Courteau le dit sans détour, il faut augmenter le revenu de personnes à la retraite pour enrayer une partie des problèmes nutritionnels de l’âge d’or. Toutefois, le médecin de l’Agence de la santé et des services sociaux de l’Outaouais (ASSSO)  que des gens au revenu moyen ou élevé ont des difficultés alimentaires.

Les limitations physiques expliquent en grande partie cette situation. Michelle Desormeaux du Centre action génération des aînés de la Vallée-de-la-Lièvre donne l’exemple d’une dame de 91 ans qui a besoin d’une marchette pour se déplacer.

«Elle ne sort pas de l’hiver parce que c’est trop glissant. Son mari est décédé et ses enfants n’habitent pas la région. Elle a besoin d’aide pour qu’on lui apporte de la nourriture.»

Pour certains, sortir de la maison est un défi, préparer un repas également. Alors, comment aller à l’épicerie quand on n’en trouve aucune à proximité? Le Dr Courteau donne l’exemple de l’île de Hull qui a vu son supermarché être fermé il y a quelques années. Les résidents de ce secteur n’ont plus beaucoup d’options pour se procurer de la nourriture.

«Le choix des aliments devient impossible. Les gens achètent leur nourriture dans les dépanneurs ou mangent tout simplement moins.»

Ces commerces de commodité peuvent dépanner comme le nom l’indique, mais ils ne sont pas reconnus pour leur variété d’aliments frais, affirme le président de la Table de concertation sur la Faim et le Développement social de l’Outaouais (TCFDSO), André Dolbec.

«En Outaouais rural, c’est particulièrement difficile. À moins d’avoir une voiture, c’est impossible d’aller chercher sa nourriture. Ajoutons qu’il y a de moins en moins de services de livraison dans nos épiceries.»

Perte d’appétitJean-Pierre Courteau explique que les personnes âgées perdent leur appétit. La faim se fait moins ressentir, l’urgence de se nourrir également. «Il est possible qu’une personne âgée soit plus encline à dépenser pour des cigarettes que pour de la nourriture.»

Une autre raison qui explique qu’un aîné se retrouve en situation d’insécurité alimentaire. La faim n’est pas le principal incitatif pour manger chez les gens de l’âge d’or, la saveur l’est toutefois. Une raison de plus selon le médecin de l’ASSSO pour faciliter l’accès aux fournisseurs d’aliments frais.

M. Dolbec expose quant à lui le phénomène des veufs qui n’ont jamais appris à cuisiner. Pour plusieurs couples âgés, la femme s’occupe d’office des repas. À sa mort, l’homme doit apprendre à se débrouiller pour se nourrir adéquatement. «Bien souvent, ils vont se contenter de repas en conserve, c’est plutôt triste», affirme le président de la TCFDSO.

Un problème difficile à réglerLes besoins alimentaires sont aussi importants chez les 65 ans et plus que les autres tranches d’âge de la population. Les intervenants du milieu se rassemblent pour trouver des solutions.

«Contrairement à ce qu’on peut penser, ils ont besoin d’autant de variété alimentaire sur le plan physiologique que n’importe qui d’autre, affirme Jean-Pierre Courteau de l’ASSSO. Ce n’est pas vrai qu’une personne âgée peut survivre sur des biscuits secs et de la soupe.»

Que la difficulté soit la mobilité ou les ressources financières, les différents organismes veulent agir pour faire disparaître l’insécurité alimentaire.

La Soupe populaire de Hull, la Soupière de l’amitié ou le Centre alimentaire Aylmer peuvent aider les gens qui n’ont pas assez d’argent pour payer leur loyer et leur nourriture. Les gens qui ont de la difficulté à cuisiner peuvent également y trouver de bons repas à bas prix.

Toutefois, le problème reste entier pour les gens de l’âge d’or à mobilité réduite ou en perte d’autonomie. Le Centre action génération des Aînés de la Vallée-de-la-Lièvre ont amené une solution à ce problème avec leur Popote roulante. Le concept est simple, des repas qu’il suffit de réchauffer livrés de porte en porte.

«C’est un repas par jour, mais pour certains, c’est deux, indique Michelle Désormeaux. Il y a une soupe, un plat principal et un dessert. Parfois, ils vont se le séparer entre le dîner et le souper.»

Entre fierté et besoinsDes obstacles se dressent tout de même devant ce service. Selon Mme Désormeaux, de nombreux aînés hésitent à faire la demande pour une livraison de repas. «Avouer qu’on est en perte d’autonomie à des étrangers, ce n’est pas tentant. On devient vulnérable et fragile. Ce n’est pas facile en soi, c’est un acte d’humilité.»

La famille est bien souvent impliquée pour inciter ces personnes à recevoir de l’aide. Michelle Désormeaux affirme toutefois que ça ne dure pas toujours. Dans plusieurs cas, après avoir reçu un repas à quelques reprises, les gens cessent de faire appel à la Popote roulante.

«Il faut que ça vienne d’eux. Malheureusement, ils attendent trop souvent d’être à leur limite. Quand ils tardent trop à demander de l’aide, ils flanchent et on doit les rediriger vers des services spécialisés.»

André Dolbec l’admet avec candeur, l’objectif est de garder les personnes âgées à domicile le plus longtemps possible, mais dans ces cas, être placé en Centre hospitalier de soins de longue durée (CHSLD) serait la meilleure solution. Un seul problème, les places manquent. Plus de 100 personnes sont en attente d’une chambre dans un CHSLD en Outaouais.

Les organismes se tournent donc vers d’autres alternatives comme les cuisines collectives pour en venir à une solution à court terme. Mais sans l’aide des concitoyens, aucune initiative ne peut fonctionner. M. Dolbec prétend que les bénévoles sont rares et vieillissants.

«La solidarité sociale, c’est aussi un facteur sur lequel on travaille pour le développement des communautés, explique le Dr Courteau. Une communauté où l’esprit d’entraide est plus fort, où le réseau est plus riche, c’est sûr qu’elle se défend mieux contre l’insécurité alimentaire parce qu’il y a plus de partage.»